Bâtisseurs et ouvriers du Moyen Age

Bâtisseurs et ouvriers du Moyen Age

Avant la création des corporations de métiers, l’ouvrier du Moyen Age était relativement libre.

Les marques de tâcherons que l’on peut voir sur les pierres des édifices avant le milieu du XIIIe siècle, nous montrent que les artisans étaient payés à la tâche et non à la journée ou plus.

exemple marques de tacherons

Généralement, selon les modes de construction de l’époque, les blocs étaient d’épaisseur à peu près égale et la maçonnerie de pierre se payait au maître d’oeuvre à tant la toise (mesure de longueur valant 6 pieds soit presque 2 mètres) et la pierre taillée, lits et joints compris à tant la toise à l’ouvrier. Il fallait donc que celui-ci marque son ouvrage, ses pierres taillées, d’un signe afin de prouver son travail et d’être payé en conséquence. Il était donc libre de faire plus ou moins de travail, de rester sur un chantier, ou de le quitter quand il le souhaitait.

Statue de Boileau - Hôtel de Ville de Paris
Statue de Boileau – Hôtel de Ville de Paris

Etienne Boileau fut l’un des premiers prévôts de Paris. Il était un homme sévère et craint de la population. C’est lui qui instaura des règlements et organisa les corporations d’Arts et de Métiers. A partir de ce moment là, les ouvriers durent se soumettre aux statuts de la corporation dont ils faisaient partie. Le salaire était réglé par les maîtres d’oeuvre qui étaient chargé de la conception, de la direction du chantier et répartissait les salaires, soumissionnant tel ou tel compagnon pour une voûte, un pilier ou une portion de muraille. C’est ce qui explique clairement les différences que l’on peut trouver dans un même édifice d’une voûte à l’autre, d’un pilier à l’autre, d’une travée à l’autre.

Pages du livres des Métiers de Boileau - BNF
Pages du livres des Métiers de Boileau – BNF

Les matériaux étaient fournis par le Maître d’Ouvrage, celui qui commandait l’exécution des travaux et qui les payait. Le maître d’oeuvre les répartissait à ses ouvriers-compagnons. Les architectes étaient en rapport constant avec les ouvriers.

Ci-dessus des architectes aux compas – Viollet-le-Duc

Ce lien continuel entre l’ordonnateur et l’exécutant devait être très fort afin que le projet pensé par l’esprit de l’ordonnateur prenne vie de la manière attendue par la main de l’exécutant. Pour la maçonnerie, il est évident que les tailleurs de pierre maîtrisaient parfaitement la géométrie et comprenaient de manière intelligente les plans dessinés par les architectures. Ensuite, un traceur d’épures ou d’épreuve projeté le plan au sol et l’on construisait aussi une petite maquette en bois pour matérialiser le projet.

Enluminure du « Titus Livius, Ab Urbe condita » Français  263 BnF département des manuscrits début XVe siècle
Enluminure du « Titus Livius, Ab Urbe condita » Français 263 BnF – département des manuscrits début XVe siècle.

MAITRE D’OEUVRE OU ARCHITECTE

Le « maître d’œuvre », ainsi appelé au Moyen Âge, est le plus souvent un maître maçon, « homme formé à un art combinant les fonctions d’architecte, d’ingénieur et de maître d’œuvre ». Pivot de la réalisation du début à la fin, une lourde responsabilité pesait sur ses épaules. Il était respecté et son statut lui conférait des privilèges. Après six ans d’apprentissage, le maçon préparait un chef d’œuvre pour être accepté dans la communauté des Compagnons et on lui donnait « son nom secret d’initiation ». Il voyageait de chantier en chantier et engrangeait de l’expérience. Un jour enfin, son talent était reconnu, il pouvait passer l’ultime épreuve et acheter sa maîtrise.Dans les diverses représentations, le maître d’œuvre porte un bonnet et une canne. Les attributs l’accompagnant sont le compas et l’équerre, instruments fondamentaux de la géométrie.

Quant au terme architecte (issu du latin architector) il n’apparaît qu’au milieu du XIIIe siècle au début de la Renaissance suivant les auteurs. Peu à peu l’architecte va se poser en « homme savant » par rapport au maître d’œuvre qui était « homme d’expérience ». Mais les statuts de chacun resteront flous un long moment, et cela ne se passera pas sans heurts, car l’architecte deviendra un dessinateur et « donneur d’ordres » qui se détachera progressivement du chantier et des artisans.

La communauté des Pierreux

Cette communauté englobait tailleurs de pierre et maçons, d’ailleurs inclus dans la même corporation au Moyen Âge, ainsi que divers métiers moins connus qui gravitaient autour.

Les Tailleurs de pierre

Sans les tailleurs de pierre, aussi dénommés « entailleurs » ou « espilleurs », le chantier ne pouvait pas démarrer. En amont, sur le site même de la carrière, travaillaient les carriers qui extrayaient la pierre et la détaillaient grossièrement sous la supervision du maître carrier.

Certains tailleurs travaillaient aussi à la carrière, car la pierre fraîchement extraite était plus tendre à tailler. D’autres travaillaient sur le chantier pour y affiner le bloc en fonction des attentes de l’appareilleur ou du maître maçon. Par mauvais temps, ou pour une taille plus minutieuse, les tailleurs se rendaient dans la loge, un atelier fermé et plus ou moins chauffé en hiver, où ils côtoyaient les maçons. C’était aussi l’endroit idéal pour ranger leurs outils.

L’apprentissage des tailleurs durait six ans. C’était un métier difficile car exposé aux intempéries et exigeant beaucoup de force, il était interdit aux moins de 15 ans. L’apprenti devait savoir reconnaître chaque type de pierre et de quelle façon l’aborder. Il devait maîtriser à la perfection la taille de formes spécifiques « destinées aux clés de voûte, voussoirs, moulures ou chapiteaux » s’il souhaitait devenir Compagnon.

Les outils des tailleurs de pierre étaient nombreux composés de compas d’appareilleur, de massette, de ciseaux, de broches, de smiles (pic à deux pointes), de taillants (hache à brettelures), de bouchardes, de peignes à grès, de chemins de fer, de scies crocodile, de bordelaises, etc.

Les Maçons

C’était un métier courant, souvent exercé de père en fils. Mais aussi un métier ambigu ou polyvalent, certains maçons assumant les tâches de tailleurs de pierre ou d’architecte, même si le terme n’était pas encore en usage. Enfin c’était un métier itinérant pour les maçons devenus Compagnons. D’ailleurs sur un chantier de cathédrale étaient employés de nombreux migrants.

Parmi les maçons talentueux, certains passaient leur maîtrise et pouvaient alors diriger toute une construction. D’autres choisissaient de devenir ravaleur : cette qualification exigeait le goût du travail soigné car la tâche consistait à ajuster les irrégularités d’un élément architectural pour qu’il présente un aspect fini plus harmonieux. Le métier était d’ailleurs mieux rémunéré que celui de simple maçon.

Les maçons étaient vêtus d’une blouse de couleur blanche « qui leur valait le surnom « d’hirondelles blanches » ». Ils portaient une hotte et une calotte rembourrée afin de transporter leur auge sur la tête quand ils montaient à l’échelle. D’ailleurs, le travail des maçons était indissociable de celui des morteliers et plâtriers, ainsi que du maître gâcheur. Voici quelques outils des maçons : l’auge, la truelle, la sciotte, l’équerre de maçon, le fil à plomb…

À l’époque médiévale, le maçon « était appelé « franc » car il travaillait la franche pierre, c’est à dire une pierre qui pouvait se tailler sans risque dans le sens du grain ou à contresens ». Voici peut-être l’origine de la Franc-maçonnerie, mais il n’est pas possible de l’affirmer.

Les Sculpteurs

Au début du Moyen Âge, le sculpteur se confondait avec le tailleur de pierre. Ce n’est que vers le XIVe siècle que son statut se précise : le tailleur de pierre s’occupe du gros œuvre, le sculpteur s’oriente vers la décoration. D’ailleurs certains auteurs rangent les sculpteurs avec les peintres, dans la communauté des « Imagiers ».

Alors que le sculpteur roman se focalisait sur tympan, voussures du portail, modillons sous corniches et chapiteaux de colonnes, l’architecture gothique crée de nouvelles zones propices à la sculpture, notamment les trois portails de la façade harmonique, les gâbles et autres dentelles sur tours, flèches ou pinacles, les gargouilles, et, à l’intérieur, chapiteaux et clés de voûte.

Les thèmes à représenter concernaient surtout « un sujet religieux ou moralisateur »: scènes de l’Ancien Testament par exemple, galeries de prophètes ou rois, mais aussi des allégories comme celle représentant les Vices et vertus. Mais l’interprétation du thème était laissée au soin de l’artisan. À cela se rajoutaient des créatures fantastiques, parfois surprenantes, voire grotesques. Enfin se répandaient partout décors végétaux, accompagnés parfois d’éléments du bestiaire de l’époque.
Quant à la statuaire, elle, alliait « l’élément humain à la théologie chrétienne »
Les premiers sculpteurs ne signaient pas leurs œuvres. Une part d’entre elles leur était attribuée à posteriori, à partir de documents d’archives.Les outils des sculpteurs étaient la laie pour épanneler, le poinçon, la gradine, des ciseaux de diverses tailles, la lime à polir, des abrasif, etc.

Les Charpentiers et les Couvreurs

Les charpentiers :

À la différence des métiers ci-dessus qui s’exerçaient librement, les charpentiers devaient se soumettre « à la juridiction d’un « charpentier royal » », qui, au XIIIe siècle, était Foulques du Temple.
Les charpentiers apportaient leur contribution tout au long du chantier pour confectionner les échafaudages, la roue écureuil ou d’autres moyens de levage, mais aussi les cintres en bois servant de support aux baies, portes ou voûtes. Puis, quand l’élévation était terminée, ils devenaient les maîtres du chantier pour coiffer l’édifice.
Les pièces principales de la charpente étaient les grandes fermes (il avait fallu « douze chênes » pour la cathédrale de Saint Denis, par exemple. Les charpentiers faisaient un premier assemblage au sol, marquaient ou numérotaient les pièces et les démontaient avant de les hisser à l’endroit final pour constituer « La forêt ».
(Après avoir traversé plus de sept siècles, la charpente de Notre-Dame de Paris, de 110 mètres de long et 13 mètres de large, a entièrement brûlé lors de l’incendie du 15 avril 2019). Voici quelques pièces de bois : sole, colombes, poteaux principaux ou corniers, entretoises, sablières, sommiers, arbalétriers, filières, chevrons, gaulettes…

Les couvreurs :

Initialement de la même corporation que les charpentiers, les couvreurs ont eu le droit de former une communauté spécifique « en 1292 », mais c’est seulement en 1703 que voient le jour les « Compagnons du devoir, en même temps que les Compagnons plâtriers ».
C’était des ouvriers polyvalents, car ils devaient savoir utiliser différents types de couverture. Pour les cathédrales, il s’agissait le plus souvent d’ardoises, comme à Reims et à Troyes, de tuiles en céramique dans le cas de Saint-Étienne de Sens, ou de feuilles de plomb pour Chartres (à l’origine), ce qui nécessitait la collaboration des plombiers.
L’autre mission des couvreurs était de veiller à une bonne étanchéité et de gérer le drainage des eaux de pluie. Sur ces édifices, divers systèmes de conduites étaient utilisés, et des chéneaux étaient creusés en pente dans la pierre, souvent « dans la volée supérieure des arcs-boutants », pour arriver jusqu’aux célèbres gargouilles permettant un jet à distance des murs.

LES VERRIERS ET LES PLOMBIERS

Les historiens font remonter la technique du vitrail au VIe siècle, mais elle connaît son apogée au XIIe siècle et va être élevée au rang d’art majeur pendant quatre siècles. Pour concevoir leur décor, les maîtres verriers prenaient modèle sur des enluminures ou peintures de l’époque. Si c’était une gravure, cela devenait une grisaille. Son projet finalisé, le maître réalisait « une maquette en couleurs, en général au 1/10e » qu’il présentait à son commanditaire. Si le projet était accepté, il réalisait ensuite un carton à taille réelle.

Les peintres verriers s’occupaient de préparer le verre et de le colorer par « un mélange d’oxydes métalliques, de verre pilé et d’un liant » qui était fixé par une cuisson au four, à 500° (le célèbre bleu de Chartres était obtenu à l’aide de cobalt). Les pièces découpées et numérotées étaient ensuite serties de gouttières de plomb coulées en amont par les plombiers (artisans polyvalents puisque nécessaires aux couvreurs). Puis l’ensemble était mastiqué et fixé aux baies, maintenu par les remplages ou par des barlotières.

LES ARTISTES PEINTRES

Comme pour les tailleurs de pierre et les sculpteurs, la limite entre peintre en bâtiment et peintre décorateur n’était pas franchement marquée. Pour certains auteurs les peintres faisaient partie des imagiers au même titre que les enlumineurs et sculpteurs. Les surfaces à peindre étaient nombreuses. L’accent était mis sur les portails extérieurs. Nous pouvons encore voir des traces de polychromies dans les églises ou cathédrales.
À l’intérieur, tout était exploitable. Les murs de la nef et les piles, pour des couleurs franches ou des fresques, la coupole de l’abside, les statues, les moulures ou voussures pour des frises décoratives, les clés de voûte. Avant le XIV
e siècle, la peinture à l’huile n’existait pas encore. Les peintres mélangeaient des pigments naturels à un liant comme le blanc d’œuf ou l’alcool.

TOUS LES AUTRES CORPS DE METIERS SUR UN CHANTIER DE CONSTRUCTION

De nombreux autres artisans participaient à l’œuvre collective :
– Carreleurs, pour les pavements en céramique ou les décors en mosaïque,
– Les Forgerons pour préparer et réparer toutes sortes d’outils, pour les « chaînages, tirants et barlotières »,
– Les Ferronniers pour les ornements de portes, mais aussi les lutrins et supports de bougies,
– Les Menuisiers pour certaines chaires, les stalles et leur miséricordes,
– Les Drapiers et les Tisserands, pour les bannières, draperies ou tapis, mêlant l’esthétique de l’époque au confort,
– Les Manœuvres, appelés « œuvriers » au Moyen Âge, et tous citadins qui donnaient spontanément un coup de main…


C’est cette fructueuse collaboration qui fera dire à Victor Hugo (1802-1885), dans son roman Notre-Dame de Paris (1831) :


« L’homme, l’artiste, l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom d’auteur ; l’intelligence humaine s’y résume et s’y totalise.
Le temps est l’architecte, le peuple est le maçon ».

Merci de votre lecture.

Sources :

  • Les Bâtisseurs du Moyen Age, Dossier d’Archéologie, 1997.
  • Bâtisseurs du Moyen Age, Thierry Hatot, L’instant durable, 2005.
  • Les Bâtisseurs de Cathédrales, Jean Gimpel, 1980
  • Le message des constructeurs de Cathédrales, Christian Jacq, J’ai Lu, 1986
  • Comment bâtir une cathédrale, Malcolm Hislop, 2005
  • La construction d’un château fort, Guedelon, Ouest-France, 2015
  • (Liste non exhaustive, il existe tellement de références à ce sujet).


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