Les Pierres Sauvages du Thoronet – Fernand Pouillon

Les Pierres Sauvages du Thoronet – Fernand Pouillon

Dans les murs de l’abbaye du Thoronet dans le Var, vibrent à jamais le génie et la foi.

Un moine bâtisseur construisit, au XIIe siècle, ce chef-d’œuvre cistercien. Son journal de bord, les Pierres Sauvages, raconte les étapes de la construction et les difficultés techniques infinies, la force et le découragement des hommes qui ont donné leur vie pour l’abbaye.

l'abbaye du Thoronet dans le var
Photo visitvar.fr

La construction des abbayes au Moyen Age furent de véritable prouesses architecturales mais également humaines. Des moines, ici cisterciens, sont venus s’installer dans une campagne isolée, hostile et éloignée de tout axe de communication.

Fernand Pouillon, né le 14 mai 1912 à Cancon dans le Lot-et-Garonne fut un architecte de renom et fut l’assistant du grand Le Corbusier. Emprisonné à tort pour malversations, c’est en prison qu’il écrit son seul roman, les Pierres Sauvages, publié en 1964. Ce roman est une ode aux moines, convers et artisans, bâtisseurs d’abbayes motivés par leur foi immense dans des temps on ne peut plus difficiles.

Pour autant, le choix du lieu ne devait rien au hasard. Il fallait des matériaux vivants : de la pierre, du bois, de l’eau, de la terre argileuse pour faire des briques, avec des carrières de minerais à peu de distance, des artisans, un architecte, un forgeron, et des bras… des bras ayant la foi ! Et, il fallait aussi des bêtes, on les oublie souvent, mais les mules étaient nécessaires pour aider les hommes à transporter les pierres si lourdes.

Les pierres sauvages - Fernand Pouillon

Il fallait définir un emplacement, défricher, débroussailler les aires, implanter la chapelle, le dortoir, les ateliers, la forge. La place des bâtiments était définie après que les lieux aient été dégagés, débroussaillés, aplanis. Les fondations étaient en premier lieu creusées. L’orientation à l’Est était primordiale et la forme générale du monastère était généralement commune à la Maison Mère de Cîteaux. Cependant, la diversité des lieux des implantations des monastères en France et en Europe a pu occasionner de légères différences architecturales, notamment dans les bâtiments réservés aux convers, des moines qui travaillaient pour l’abbaye mais n’étaient pas soumis à la Règle de l’ordre, la Règle de Saint-Benoît, mais à un règlement interne imposé par l’abbé ou le prieur. Les convers étaient souvent des hommes convertis, veufs ou des hommes qui avaient été confiés enfant au monastère mais qui n’étaient pas destinés à la vie religieuse cloîtrée.

C’était donc une véritable épopée communautaire que la construction d’une abbaye.

Cloître du Thoronet

Le livre se présente comme un journal de bord tenu par le Maître d’Oeuvre de l’abbaye du Thoronet. Il ne livre jamais son nom. En cela, il ressemble aux artistes du Moyen Age dont bien peu ont laissé leur nom ou signature sur leurs oeuvres. Il s’appelle juste Guillaume, maître Guillaume respectant ainsi la préconisation de Saint Bernard qui disait : « Il n’est de vertu plus indispensable à nous tous que l’humilité« 

Maître Guillaume livre dans cet écrit ses espérances, ses doutes, ses actions, des réactions face à l’ampleur de la tâche, ses relations avec ses frères moines, Bernard et Benoît, Frère Gabriel, l’infirmier convers, les frères convers et les artisans, Paul, le forgeron notamment, qui est arrivé de manière providentielle sur le chantier.

« Nous moines cisterciens, ne sommes-nous pas comme les pierres ? Arrachés au siècle, burinés et ciselés par la Règle, nos faces éclairées par la foi, marquée par nos luttes contre le démon ? Entrez dans la pierre et soyez vous-même comme des pierres vivantes pour composer un édifice de saints prêtres ».

Moines cisterciens

Ses écrits ont débuté le Dimanche de l’Oculi, 5 mars, dans l’an de grâce 1161 et se terminent le 11 décembre de la même année. Neuf mois (symboliques) du récit d’une construction qui s’est étalé sur plusieurs décénies. Le lecteur partage donc, neuf mois de la vie des moines et de ces hommes en chantier pour l’abbaye dans la foi.

La taille des pierres était l’obsession du maître d’oeuvre. Il manquait toujours de main d’oeuvre et c’était un travail très difficile. Les convers avaient les yeux terriblement abîmés par les poussières et les éclats de la pierre…La pierre blanche ou dorée, si belle lorsqu’on l’assemble était aussi meurtrière lorsqu’elle happait les ouvriers, frère Thomas le paya de sa vie, mort pour l’abbaye.

 » Sur le chantier, la mort à touché le plus simple et le plus saint : le manœuvre. Celui qu’aucun travail ne rebute, qui ne se plaint pas, qui ne reçoit jamais de félicitations ni d’hommage. Celui que l’on ne songe même pas à mépriser sur tous les chantiers du monde. Baissez la tête et inclinez vous, hommes ! devant l’humble qui vous sert sans espoir de reconnaissance. Apprenez à aimer le manœuvre, sachez respecter son oeuvre de fourmi. Dans la construction de l’édifice, le manœuvre apparaît avec trois grandes vertus : Patience, Persévérance, Humilité« .

Après la pierre, ce fut le four à chaux qui s’écroulera avec frère Philippe… Frères, compagnons, convers, tous unis dans la vie et dans la mort. Fernand Pouillon nous raconte tout cela avec les détails précis et techniques qui sont ceux d’un architecte. L’abbaye prend forme à chaque chapitre et évolue au même rythme que ces hommes, au rythme des heures ponctuées par les offices des moines.

«  L’architecture garde une partie de son mystère, ne le découvre que par fragments et ne le livre que lorsque tous les volumes ont occupé leur place. L’œuvre en cours est une discussion, décevante ou pleine de promesses. Nous cherchons des arguments. Nous écoutons les résonances sans encore en connaître la fin. Toutes ces émotions ne peuvent être prévues et connues entièrement à l’avance. Cela est bon ; un chantier sans anxiété serait comme une vie sans souffrance« .

Salle capitulaire de l'abbaye du Thoronet

L’église, l’abside, les quatre absidioles en cul de four, le cloître, la sacristie, puis la bibliothèque, la salle capitulaire, l’escalier du dortoir, le dortoir, le passage du parloir, la salle des moines, le chauffoir, le réfectoire, la cuisine, le cellier, les bâtiments des convers, tout prit forme dans un assemblage de volumes parfait et harmonieux.

Ainsi est née l’abbaye du Thoronet, comme grand nombre de monastères cisterciens ou clunisiens, à la sueur des moines, des architectes, des convers et des artisans compagnons. Lieux de Prière, de foi, de Paix, il nous reste aujourd’hui la profonde quiétude de ces abbayes d’où les chants et intentions de milliers de moines et moniales ont bercé l’Univers de vœux pour l’Humanité depuis des siècles et des siècles…

Je consacrerai un prochain article à l’histoire de l’abbaye du Thoronet. Belle (re)lecture, je l’espère, des Pierres Sauvages de Fernand Pouillon.

Eglise du Thoronet Var

2 réflexions sur « Les Pierres Sauvages du Thoronet – Fernand Pouillon »

  1. Cet hiver , j ‘ ai participé a plusieurs offices en tant que  » Chevalier de la Sainte Alliance  » !Magnifiques et pieux souvenirs des Messes avec les Moines Cisterciens , dans cette illustre abbaye ! AMEN !

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