L’Abbaye de la Sauve-Majeure – Au coeur de l’Entre-deux-Mers
S’il est un lieu qui vous enchante à peine franchi le portail d’entrée, c’est bien la superbe abbaye de la Sauve-Majeure en Gironde. Ici, on est hors du temps, le souffle coupé par la beauté du lieu, des ruines vivantes qui nous rappellent tellement les grandes églises et abbayes d’Angleterre, ouvertes à tous vents, depuis la dissolution et la destruction des monastères sous Henri VIII.
Ici encore, dès les premières marches pour accéder à la nef, on sent la puissance du lieu et la magie d’un millénaire d’Histoire.
Au cœur du Moyen Age, la visite commence.
La Sauve-Majeure ou la Grande-Sauve, qui signifie la Grande-Forêt, Salva Major, était établie dans un immense espace de forêt verdoyante, offerte aux moines, pour y construire leur abbaye. C’est un lieu qui m’a enchanté, émerveillé et je suis ravie de vous en proposer la (re)découverte.
C’est en 1079 qu’un abbé bénédictin, le futur Saint Gérard de Corbie, fonde l’abbaye Notre-Dame de la Sauve-Majeure dans une vaste forêt entre Dordogne et Gironde. Le soutien et la protection des Ducs d’Aquitaine et la proximité des chemins qui menaient à Saint-Jacques de Compostelle, assura à l’abbaye une grande renommée spirituelle et très vite, une grande richesse matérielle qu’elle conserva pendant plusieurs siècles.
Gérard de Corbie
Né vers 1025 à Corbie dans le Nord-Est de la France (en actuelle Somme), Gérard est confié dès son enfance à l’abbaye de Corbie, où il devint moine cellérier. L’abbaye de Corbie était, dès l’époque carolingienne, un foyer intellectuel et spirituel de premier ordre. Toujours malade et migraineux, Gérard de Corbie fit plusieurs pèlerinages, espérant ainsi être guéri. Il est allé à Rome, ainsi qu’à Jérusalem. La sagesse acquise, il fut nommé, à la suite de son frère, abbé de Saint-Vincent à Laon. Mais le manque de rigueur des moines n’acceptant pas son autorité, le fit quitter Laon. Déjà âgé d’une soixantaine d’années, il gagna le Sud Ouest de la France avec quelques disciples pour y trouver un lieu solitaire. Il était animé du même désir que Robert de Molesmes, Robert d’Arbrissel, Saint Bruno ou encore Saint Etienne de Muret. Il voulait un idéal de vie religieuse fondé sur la foi, la simplicité, la pauvreté et l’obéissance à Dieu.
Gui-Geoffroy, Comte de Poitiers , devenu en 1058 Guillaume VIII, Duc d’Aquitaine, lui donna cette immense étendue de forêts près de Bordeaux. Gérard de Corbie fut le premier abbé de l’abbaye. Il instaura un grand respect de la règle de Saint Benoit et se fit fondateur d’un grand nombre de prieurés appartenant à l’abbaye. Il rendit l’âme à la Sauve-Majeure en 1095 et à sa canonisation, cent ans plus tard, en 1197, par le pape Célestin III, la congrégation disposait de 76 prieurés, les plus nombreux en Aquitaine mais d’autres également dans les diocèses de Reims, de Soissons, de Beauvais, dans le Hainaut, en Angleterre et en Espagne, en Aragon. Au pied de l’abbaye s’était développée une sauveté, un grand bourg monastique affranchi de toute juridiction laïque.
La prospérité de l’abbaye ne dura que 200 ans. La guerre de Cent ans et les guerres de Religion provoquèrent la chute de la prospérité du monastère et l’afflux des dons cessa. Les moines connurent alors de grandes difficultés pour entretenir leurs très coûteux bâtiments. La mise en commende de l’abbaye provoqua sa perte. L’administration des biens fut confié à des abbés commendataires, qui ne vivaient pas à l’abbaye et ne souhaitaient qu’en retirer le plus de bénéfices financiers. L’état du lieu et la vie monastique ne leur importaient pas.
Ci dessus, plan de la Sauve-Majeure en 1679 – Extrait du Monasticon Gallicanum – Recueil de notices et plans de la Congrégation de Saint-Maur, dans laquelle l’abbaye de la Sauve-Majeure est entrée en 1660.
Nous voyons à quel point l’abbaye était immense. Dès 1660, les bâtiments furent restaurés et les reliques convenablement présentées. L’abbaye, dit-on, disposait alors d’un fragment de la Vraie Croix, un autre de la Sainte Lance qui perça le côté du Christ et entre autre, les reliques de Saint Gérard de Corbie, .
Au XVIIIe siècle, les moines avaient toujours autant de difficultés à faire face aux dépenses et à l’entretien de l’abbaye. La Congrégation de Saint-Maur fur dissoute à la Révolution et tous les biens fonciers de l’abbaye furent confisqués et vendus, ainsi que les objets de cultes et objets précieux. En 1793 et cela pendant deux ans, l’abbaye servit de prison. Tout y fut arraché, vitraux, sol, toitures et charpentes, les pierres servant de carrière. En 1806, les voûtes se sont effondrées et l’abbaye fut réduite à l’état de ruines majestueuses.
Au XIXe siècle, les bâtiments restants devinrent un collège d’enseignement catholique pendant 20 ans de 1838 à 1858. En 1859, ce fut l’Ecole normale de la Gironde qui occupa les lieux avant qu’un incendie de 1910 détruise ce qui restait de la Sauve-Majeure. De 1914 à 1919, un petit hôpital militaire s’y installa.
L’abbaye fut classée Monument Historique en 1840 et c’est l’Etat qui en fit son acquisition en 1960. Depuis 1998, elle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des Chemins de Saint Jacques de Compostelle. Les voies qui menaient à Compostelle au Moyen Age ne se limitaient pas à celles que nous connaissons aujourd’hui. Une multitude de chemins étaient empruntés par les pèlerins. Et l’abbaye de la Sauve-Majeure, comme en témoignent ses archives, était une étape privilégiée des hommes et des femmes qui savaient qu’une abbaye leur ouvrirait les portes pour un temps de repos, de prière ou de soins.
LES CARTULAIRES
La source d’information la plus importante concernant l’abbaye de la Sauve-Majeure est sans aucun doute ses deux cartulaires du Moyen Age datant de la fin du XIIe, début XIIIe siècle. Ils sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque municipale de Bordeaux.
Numérisés, nous avons la chance de pouvoir les consulter en ligne en suivant le lien ci-dessous :
Le premier volume est composé des feuillets anciennement chiffrés II à CXI. Ils ont reçu, par la suite, une pagination moderne et sont numérotés de 3 à 224. On peut ainsi voir qu’il manque les deux premières pages. Le texte débute au folio 3 par : « …subjectum, obque sui tutelam ». Les deux volumes retranscrivent près de 1480 actes couvrant la période de 1079 à 1356. Ces actes sont regroupés selon leur thématique et la topographie. Ils permettent notamment de suivre l’expansion et l’implantation des terres de l’abbaye durant cette période. Plusieurs de ces actes sont accompagnés des signatures ou monogrammes des contractants ou des témoins. Certaines de ces signatures sont en langue arabe. Le volume d’origine a subi plusieurs dommages. Plusieurs morceaux de parchemin ont été découpés dans les marges et le volume originel de 492 pages a été séparé en deux parties. Certains feuillets sont ornés d’initiales en couleur. Ce volume a été conservé jusqu’à la Révolution à l’abbaye de la Sauve-Majeure.
L’abbaye est un endroit merveilleux, un lieu où résonnent encore le bruit des bâtisseurs, le chants de moines, les prières des fidèles. Je vous propose sa visite dans un article suivant afin que vous puissiez allier la découverte de cette brève partie historique à la partie architecturale des lieux. L’abbaye de la Sauve-Majeure à conquit mon cœur, nul doute que j’y reviendrai souvent.
Merci de votre lecture.