Le Petit Père Noel de George Sand

Le Petit Père Noel de George Sand

Vers 1807 –  dans Histoire de ma Vie, éditions La Pléiade.

Ma mère me chantait aussi une chanson de ce genre la veille de Noël, et comme cela ne venait qu’une fois l’an, je ne me la rappelle pas.

Ce que je me rappelle parfaitement, c’est la croyance absolue que j’avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père Noël, bon vieillard à barbe blanche qui, à l’heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j’y trouverais à mon réveil. Minuit ! Cette heure fantastique que les enfants ne connaissent point, et qu’on leur montre comme le terme impossible de leur veillée !

Quels efforts incroyables je faisais pour ne pas m’endormir avant l’apparition du petit vieux ! J’avais à la fois grande envie et grand peur de le voir ; mais jamais je ne pouvais me tenir éveillée jusque-là, et le lendemain mon premier regard était pour mon soulier au bord de l’âtre. Quelle émotion me causait l’enveloppe de papier blanc ! Car le père Noël était d’une propreté extrême, et ne manquait jamais d’empaqueter soigneusement son offrande. Je courais, pieds nus, m’emparer de mon trésor. Ce n’était jamais un don bien magnifique, car nous n’étions pas riches. C’était un petit gâteau, une orange, ou tout simplement une belle pomme rouge. Mais cela me semblait si précieux, que j’osais à peine le manger. L’imagination jouait encore là son rôle, et c’est toute la vie de l’enfant.

Je n’approuve pas du tout Rousseau de vouloir supprimer le merveilleux, sous prétexte de mensonge. La raison et l’incrédulité viennent bien assez vite, et d’elles-mêmes ; je me rappelle fort bien la première année où le doute m’est venu, sur l’existence réelle du père Noël. J’avais cinq ou six ans, et il me sembla que ce devait être ma mère qui mettait le gâteau dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres fois, et j’éprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au petit homme à barbe blanche.

J’ai vu mon fils y croire plus longtemps ; les garçons sont plus simples que les petites filles. Comme moi, il faisait de grands efforts pour veiller jusqu’à minuit. Comme moi, il n’y réussissait point, et comme moi, il trouvait au jour le gâteau merveilleux pétri dans les cuisines du paradis. Mais pour lui aussi la première année où il douta fut la dernière de la visite du bonhomme. Il faut servir aux enfants les mets qui conviennent à leur âge et ne rien devancer. Tant qu’ils ont besoin de merveilleux, il faut leur en donner. Quand ils commencent à s’en dégoûter, il faut bien se garder de prolonger l’erreur et d’entraver le progrès naturel de leur raison.

Retrancher le merveilleux de la vie de l’enfant, c’est procéder contre les lois même de la nature. L’enfance n’est-elle pas chez l’homme un état mystérieux et plein de prodiges inexpliqués ? D’où vient l’enfant ?

Avant de se former dans le sein de sa mère, n’avait-il pas une existence quelconque dans le sein impénétrable de la divinité ? La parcelle de vie qui l’anime ne vient-elle pas du monde inconnu où elle doit retourner ? Ce développement si rapide de l’âme humaine dans nos premières années, ce passage étrange d’un état qui ressemble au chaos, à un état de compréhension et de sociabilité, ces premières notions du langage, ce travail incompréhensible de l’esprit qui apprend à donner un nom, non pas seulement aux objets extérieurs, mais à l’action, à la pensée, au sentiment ; tout cela tient au miracle de la vie, et je ne sache pas que personne l’ait expliqué. J’ai toujours été émerveillée du premier verbe que j’ai entendu prononcer aux petits enfants. Je comprends que le substantif leur soit enseigné, mais les verbes, et surtout ceux qui expriment les affections ! La première fois qu’un enfant sait dire à sa mère qu’il l’aime, par exemple, n’est-ce pas comme une révélation supérieure qu’il reçoit et qu’il exprime ? Le monde extérieur où flotte cet esprit en travail, ne peut lui avoir donné encore aucune notion distincte des fonctions de l’âme.

Jusque-là, il n’a vécu que par les besoins, et l’éclosion de son intelligence ne s’est faite que par les sens. Il voit, il veut toucher, goûter, et tous ces objets extérieurs dont, pour la plupart, il ignore l’usage, et ne peut comprendre ni la cause ni l’effet, doivent passer d’abord devant lui comme une vision énigmatique. Là commence le travail intérieur. L’imagination se remplit de ces objets ; l’enfant rêve dans le sommeil, et il rêve aussi sans doute quand il ne dort point. Du moins il ne sait pas, pendant longtemps, la différence de l’état de veille à l’état de sommeil. Qui peut dire pourquoi un objet nouveau l’égaie ou l’effraie ? Qui lui inspire la notion vague du beau et du laid ? Une fleur, un petit oiseau ne lui font jamais peur ; un masque difforme, un animal bruyant l’épouvante.

Il faut donc qu’en frappant ses sens, cet objet de sympathie ou de répulsion révèle à son entendement quelque idée de confiance ou de terreur qu’on n’a pu lui enseigner ; car cet attrait ou cette répugnance se manifeste déjà chez l’enfant qui n’entend pas encore le langage humain. Il y a donc chez lui quelque chose d’antérieur à toutes les notions que l’éducation peut lui donner, et c’est là le mystère qui tient à l’essence de la vie dans l’homme.

L’enfant vit tout naturellement dans un milieu, pour ainsi dire, surnaturel, où tout est prodige en lui et où tout ce qui est en dehors de lui doit, à la première vue, lui sembler prodigieux. On ne lui rend pas service en hâtant sans ménagement et sans discernement l’appréciation de toutes les choses qui le frappent. Il est bon qu’il la cherche lui-même et qu’il s’établisse à sa manière durant la période de sa vie, où, à la place de son innocente erreur, nos explications, hors de portée pour lui, le jetteraient dans des erreurs plus grandes encore et peut-être à jamais funestes à la droiture de son jugement, et, par suite, à la moralité de son âme.

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