La petite fille aux allumettes – Noël – Andersen- 1845

La petite fille aux allumettes – Noël – Andersen- 1845

Ou la petite marchandes aux allumettes – Un conte d’Andersen publié pour la première fois en 1845.

Le récit se déroule la veille du Nouvel An. Il fait très froid et le soir tombe. Une petite fille miséreuse marche dans les rues enneigées d’une ville évoquant Copenhague. Elle propose des allumettes aux passants indifférents. N’ayant rien vendu de la journée, elle n’ose pas rentrer au logis car son père la battrait. Pour se réchauffer, elle se réfugie entre deux maisons et frotte plusieurs allumettes. Des hallucinations successives lui font apparaître tout ce dont elle est privée : la chaleur d’un bon feu ; un délicieux repas de fête ; un superbe sapin de Noël. Puis une vision lui montre le seul être qui l’ait jamais aimée : sa grand-mère morte récemment. Elle brûle alors toutes les allumettes pour faire durer le plus longtemps possible cette apparition ineffable. Dans un grand éclat de lumière, la vieille femme emporte sa petite-fille jusqu’au paradis. Le lendemain, on découvre l’enfant sans vie, sourire aux lèvres.

Simple d’apparence, ce conte poignant à la rigoureuse progression dramatique oppose, par métaphores successives, ténèbres glaciales et chaleur lumineuse qui suscitent un monde immatériel. Et par l’anonymat de sa protagoniste, Andersen livre à la postérité un prototype universel d’enfant maltraité.

« Comme il faisait froid ! la neige tombait et la nuit n’était pas loin ; c’était le dernier soir de l’année, la veille du jour de l’an. Au milieu de ce froid et de cette obscurité, une pauvre petite fille passa dans la rue, la tête et les pieds nus. Elle avait, il est vrai, des pantoufles en quittant la maison, mais elles ne lui avaient pas servi longtemps : c’étaient de grandes pantoufles que sa mère avait déjà usées, si grandes que la petite les perdit en se pressant de traverser la rue entre deux voitures. L’une fut réellement perdue ; quant à l’autre, un gamin l’emporta avec l’intention d’en faire un berceau pour son petit enfant, quand le ciel lui en donnerait un.

La petite fille cheminait avec ses petits pieds nus, qui étaient rouges et bleus de froid ; elle avait dans son vieux tablier une grande quantité d’allumettes, et elle portait à la main un paquet. C’était pour elle une mauvaise journée ; pas d’acheteurs, donc pas le moindre sou. Elle avait bien faim et bien froid, bien misérable mine. Pauvre petite ! Les flocons de neige tombaient dans ses longs cheveux blonds, si gentiment bouclés autour de son cou ; mais songeait-elle seulement à ses cheveux bouclés ? Les lumières brillaient aux fenêtres, le fumet des rôtis s’exhalait dans la rue ; c’était la veille du jour de l’an : voilà à quoi elle songeait.

Elle s’assit et s’affaissa sur elle-même dans un coin, entre deux maisons. Le froid la saisit de plus en plus, mais elle n’osait pas retourner chez elle : elle rapportait ses allumettes, et pas la plus petite pièce de monnaie. Son père la battrait ; et, du reste, chez elle, est-ce qu’il ne faisait pas froid aussi ? Ils logeaient sous le toit, et le vent soufflait au travers, quoique les plus grandes fentes eussent été bouchées avec de la paille et des chiffons. Ses petites mains étaient presque mortes de froid. Hélas ! qu’une petite allumette leur ferait du bien ! Si elle osait en tirer une seule du paquet, la frotter sur le mur et réchauffer ses doigts ! Elle en tira une : ritch ! comme elle éclata ! comme elle brûla ! C’était une flamme chaude et claire comme une petite chandelle, quand elle la couvrit de sa main. Quelle lumière bizarre ! Il semblait à la petite fille qu’elle était assise devant un grand poêle de fer orné de boules et surmonté d’un couvercle en cuivre luisant.

Le feu y brûlait si magnifique, il chauffait si bien ! Mais qu’y a-t-il donc ! La petite étendait déjà ses pieds pour les chauffer aussi ; la flamme s’éteignit, le poêle disparut : elle était assise, un petit bout de l’allumette brûlée à la main.

Elle en frotta une seconde, qui brûla, qui brilla, et, là où la lueur tomba sur le mur, il devint transparent comme une gaze. La petite pouvait voir jusque dans une chambre où la table était couverte d’une nappe blanche, éblouissante de fines porcelaines, et sur laquelle une oie rôtie, farcie de pruneaux et de pommes, fumait avec un parfum délicieux. Ô surprise ! ô bonheur ! Tout à coup l’oie sauta de son plat et roula sur le plancher, la fourchette et le couteau dans le dos, jusqu’à la pauvre fille. L’allumette s’éteignit : elle n’avait devant elle que le mur épais et froid.

En voilà une troisième allumée. Aussitôt elle se vit assise sous un magnifique arbre de Noël ; il était plus riche et plus grand encore que celui qu’elle avait vu, à la Noël dernière, à travers la porte vitrée, chez le riche marchand. Mille chandelles brûlaient sur les branches vertes, et des images de toutes couleurs, comme celles qui ornent les fenêtres des magasins, semblaient lui sourire.

La petite éleva les deux mains : l’allumette s’éteignit ; toutes les chandelles de Noël montaient, montaient, et elle s’aperçut alors que ce n’était que les étoiles. Une d’elle tomba et traça une longue raie de feu dans le ciel.

« C’est quelqu’un qui meurt, » se dit la petite ; car sa vieille grand’mère, qui seule avait été bonne pour elle, mais qui n’était plus, lui répétait souvent : « Lorsqu’une étoile tombe, c’est qu’une âme monte à Dieu. »

Elle frotta encore une allumette sur le mur : il se fit une grande lumière au milieu de laquelle était la grand’mère debout, avec un air si doux, si radieux !

« Grand’mère s’écria la petite, emmène-moi. Lorsque l’allumette s’éteindra, je sais que tu n’y seras plus. Tu disparaîtras comme le poêle de fer, comme l’oie rôtie, comme le bel arbre de Noël. »

Elle frotta promptement le reste du paquet, car elle tenait à garder sa grand’mère, et les allumettes répandirent un éclat plus vif que celui du jour. Jamais la grand’mère n’avait été si grande ni si belle. Elle prit la petite fille sur son bras, et toutes les deux s’envolèrent joyeuses au milieu de ce rayonnement, si haut, si haut, qu’il n’y avait plus ni froid, ni faim, ni angoisse ; elles étaient chez Dieu.

Mais dans le coin, entre les deux maisons, était assise, quand vint la froide matinée, la petite fille, les joues toutes rouges, le sourire sur la bouche…. morte, morte de froid, le dernier soir de l’année. Le jour de l’an se leva sur le petit cadavre assis là avec les allumettes, dont un paquet avait été presque tout brûlé. « Elle a voulu se chauffer ! » dit quelqu’un.

Tout le monde ignora les belles choses qu’elle avait vues, et au milieu de quelle splendeur elle était entrée avec sa vieille grand’mère dans la nouvelle année ».

Cette Chronique fait référence à mes publications FB du 22 décembre 2022. 

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